Féminisme : Evolution des différents courants

Le féminisme consiste à appréhender, dans un contexte donné, la situation des femmes en reversant toute opposition binaire ou construction hiérarchique, au lieu de les accepter comme étant de la nature des choses.

Le féminisme cherche à démontrer que les forces et les valeurs inhérentes au patriarcat, forme d’organisation sociale hiérarchisant la place et les rôles entre les hommes et les femmes, sur laquelle nos sociétés ont été construites, est à bien des égards illégitime.

Son but est de redéfinir les dimensions de la relation homme/femme pour que la femme soit une figure d’autonomie et d’indépendance. Toutefois tant les moyens que les terrains d’action pour y parvenir sont multiples ; ce qui explique que le féminisme fédère tout autant qu’il divise.

Nonobstant sa géométrie variable, le féminisme s’est construit par l’intermédiaire de plusieurs étapes classées en trois « vagues », sans pour autant être du cinéma.

La première vague

Pourquoi l’émergence d’une vague féministe en France ?

En 1804, la femme n’était pas considérée, au plan légal, comme une personne… en réalité la femme n’était tout simplement pas considérée du tout: le Code civil la plaçait sous la tutelle de son père puis de son mari la privant ainsi de la capacité juridique. Les femmes étaient d’ailleurs exclues de la Déclaration Des droits de l’Homme et du Citoyen. Lorsqu’elles demandaient à être considérées politiquement elle étaient sévèrement réprimandées, telle que ce fut le cas pour Olympe de Gourgues guillotinée après avoir publiée en 1791 la Déclaration des Droits des  Femmes et de la Citoyenne. En outre la lutte pour les droits des femmes apparaissait comme secondaire par rapport à la lutte des classes.

Dès lors c’est seulement dans la sphère privée que les femmes font entendre leur volonté notamment de ne pas être mariées sans leur consentement et d’accéder à l’éducation. Seule certaines femmes évoluant au sein de milieux progressistes y parviennent, si bien qu’au début le féminisme a été perçu comme une revendication bourgeoise.

Ce sont les deux guerres mondiales qui ont grandement conduit à faire évoluer la position des femmes car, au cours de ces deux conflits, elles ont démontré leur pleine capacité à assumer les mêmes fonctions et responsabilités que les hommes : dans les champs, dans les usines, dans les rangs de la résistance ; ce qui a profondément changé la conception des rapports sociaux. En outre les femmes revendiquent leur droit par le biais du militantisme : les suffragette descendent dans la rue pour manifester en faveur du droit de vote des femmes.

Sur le plan intellectuel, des œuvres telle que Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, repris plus tard par les féministes de la deuxième vague, dénonce le sexisme, la lâcheté et la cruauté des hommes mais aussi le fatalisme, la soumission et l’inaction  des femmes.

Ainsi ces prises de conscience dans le contexte de l’après guerre vont contribuer à ce que les femmes obtiennent la reconnaissance des droits civiques : le droit de vote, le droit de participer aux institutions publiques et le droit à l’éducation.

La deuxième vague

Après l’obtention de droits civils et politiques les femmes doivent se battre pour la libéralisation de leur corps : une deuxième vague émerge.

Avant 1975, la vie sexuelle de la femme était strictement encadrée: si après un rapport sexuel hors mariage, consenti ou non, elle tombait enceinte il lui était interdit d’avorter. Cumulé au fait que la contraception n’existait pas encore une telle règle a condamnée bien des femmes à élever des enfants seules et sans ressource. La constance de ces situations et la multiplication exponentielle des avortements clandestins ont conduit à faire émerger les voies en faveurs de la libéralisation du corps des femmes.

Dans la rue le Mouvement de Libération des femmes (MLF), né en 1970, diffuse le slogan « Notre corps nous appartient ». L’une des co-fondatrices de ce mouvement, Antoinette Fouque, psychanalyste, philosophe et femme politique ouvre également des groupes de réflexion afin d’élaborer des stratégies et des terrains d’action autour de la libéralisation de la femme. Des pistes de réflexion jusqu’alors inouïes se font entendre dans la société: la mysogynie, le reversement du patriarcat, la maitrise des fonctions reproductives, la notion de genre pour rééquilibrer les rapports entre les sexes… C’est à la construction de nouveaux rapports sociaux de sexe qu’appellent les féministes de cette deuxième vague.

C’est dans ce contexte de revendications nouvelles que les femmes obtiennent en premier lieu, le droit d’accéder à la contraception en 1967, puis le droit à l’avortement en 1975, en dépit de critiques virulentes.

On se souvient du discours aussi habile que subtile de Simone Veil prononcé à l’Assemblée Nationale en faveur du projet de loi IVG : « Je le dit avec toute ma conviction l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issus… Mais comment le tolérer sans qu’il perde ce caractère d’exception, sans que la société paraisse l’encourager. Je voudrais tout d’abord vous faire partagée une conviction de femme, je m’excuse de le faire devant une assemblée presque exclusivement composée d’hommes, aucune femme ne recours de gaité de cœur à l’avortement (…). »

Les deux premières vagues féministes ont eu une ampleur considérable en ce sens qu’en quarante ans, il y a eu plus de transformations qu’en deux mille ans d’histoire.

La troisième vague

Face à aux transformations sociales progressistes apportées par le féminisme, des réactions politiques conservatrices virulentes, bien que minoritaires, se font sentir. C’est notamment en réponse à ce backlash qu’une 3ème vague féministe émerge au début des années 1980.

Plus concrètement le féministe de la troisième vague met l’accent sur l’oppression commune de toutes les femmes nonobstant leur milieu social et culturel. Basé sur des sujets oubliés par le féminisme de la deuxième vague, tels que les Noires, les femmes du tiers-monde, les migrantes, les gays ou les figures queer ; féminisme de la troisième vague décortique la catégorie Femme en mettant en avant l’hétérogénéité. Cette reconnaissance de la diversité du groupe Femme implique alors une multiplication des mouvements féministes pouvant aller jusqu’à s’opposer entre eux.

Cette nuance portée par cette « new wave » féministe marque une rupture avec les deux premières vagues et fait naitre une multitudes de courants qui vont parfois rentrer en opposition. Le tableau ci-dessous reprend quelques courants féministes de la 3ème vague :

Le féminisme radical : idée que le droit fait partie d’un système socialement organisé par les hommes afin d’asservir les femmes.

Catharine Mackinnon: Avocate, elle publie en 1979 . Cette étude lance le débat sur le lien entre harcèlement et discrimination.

Le constructivisme : pense que les différences entre les sexes sont le fruit d’un conditionnement social.

L’une des constructivistes les plus connue est la professeure Judith Butler.

 

L’essentialisme : idée que les femmes et les hommes sont différents par « essence ». Ils ont donc des besoins et un conditionnement spécifique à leur nature biologique.

 

 

Le matérialisme : la libération des femmes passe nécessairement par la lutte des classes. Le monde réel résulte d’une série de mécanismes qui peuvent être modifiés. Les féministes matérialistes s’inspirent de Karl Marx.

La chercheuse féministe française Christine Delphy est à la base de ce mouvement.

Le féminisme postmoderne : Rejette toute forme de déterminisme. Les féministes postmodernes dénoncent les positions jugées « hégémoniques » des mouvements féministes qui tendent à amalgamer différentes catégories de femmes dans un seul groupe. Théorie Queer : Questionne l’association genre/sexe. Les queers reprochent particulièrement le caractère « hétérogenré » des autres grandes théories féministes.

 

Outres la multiplication des courants, la 3ème vague apporte un volet sophistication de l’analyse féministe. Celle-ci fait pleinement son entrée dans les disciplines tel que le droit, la sociologie, les sciences …

ZOOM sur … l’étude du GENRE dans une perspective féministe :

L’étude du genre, née au 20ème siècle, tend à questionner la bi-catégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et à la remise en cause des valeurs et représentations qui y sont associées (masculin/féminin).

Le classement des individus en fonction de leur sexe a notamment été instauré pour les affecter à des rôles distincts, à leur imputer des comportements et à juger de leurs aptitudes intellectuelles.

L’étude du genre permet d’expliquer que la catégorisation homme/femme est parfois inappropriée en ce sens qu’elle peut générer des préjugés et des inégalités injustifiées.

Afin de démonter ceci l’étude du genre cherche à identifier les standards sexués, entendu comme une multitude de normes préétablies en fonction d’une appartenance sexuelle, afin de les déconstruire dès lors qu’ils tendent à affaiblir l’appréciation d’un individu au regard de ses capacités intellectuelles.

Par exemple à l’école il a longtemps était courant de dire que « les filles sont nulles en maths et meilleures en français» ou encore que la série Littéraire leur correspondait mieux. Ce type de standards sexués, dont l’influence s’estompe aujourd’hui, a restreint aux femmes l’accès à certaine catégorie professionnelle et cela sur plusieurs générations : si aujourd’hui une femmes sur 34 est ou deviendra ingénieur, cette proportion était de 1 sur 500 parmi les générations arrivant à la retraite[1].

Autre exemple, dans la sphère domestique, la répartition des taches a longtemps été basée sur le standard sexué selon lequel les femmes sont multitâches et donc sont mieux disposées à s’occuper de l’entretien de l’intérieur. Ce standard est massivement exploité pour la vente des produits domestiques : une publicité pour un produit ménager ou alimentaire met le plus souvent en scène une femme. Ceci alimente l’image selon laquelle c’est à la femme qu’il revient d’effectuer les taches ménagères.

En identifiant puis en dénonçant les standards sexués, l’étude du genre a pour objectif que chacun puisse s’affirmer en fonction de ce qu’il est en tant que personne, laquelle se construisant, certes biologiquement et uniquement biologiquement en fonction du sexe, mais surtout en fonction d’un apprentissage et plus largement en fonction de la manière de réagir au monde extérieur pour y trouver sa place.

Laurène François

[1] http://www.lemonde.fr/campus/article/2016/06/30/ingenieurs-toujours-plus-de-femmes-diplomees_4961586_4401467.html

Catherine Vidal, neurobiologiste, a exercé les fonctions de directrice de recherche en neurosciences à l’Institut Pasteur jusqu’en 2014. Elle travaille actuellement au sein du Comité d’Éhique de l’Inserm. Elle est co-responsable du groupe de réflexion « Genre et Recherches en Santé ». Elle est membre de l’Institut Émilie du Châtelet, de ONU Femmes France, du Laboratoire de l’Égalité, et co-directrice de la collection Égale à Égal (Belin).