Transmettre ou tout simplement Partager entre générations ?

Un quatre mains mère-fille, à partir du livre « Génération Startuppeuse ou la nouvelle ère » par Viviane[1] et Marine de Beaufort[2]

En tant que professeure à l’ESSEC BS, à priori, dit-on reconnue, écrire des publications techniques, je sais faire, mais me lancer dans un ouvrage pour témoigner sur la Génération Y, avec la dimension d’affect que ça suppose, puisque je suis la mère de l’une d’entre elles, ma co-auteure, et me vit mère générique des autres, notamment les startuppeuses que je soutiens, c’était moins facile. Parfois même douloureux, car il a fallu aller chercher des ressorts profonds sur mes motivations, mon engagement à les soutenir, à tenter de les comprendre avec ma tête et mon cœur. Je suis heureuse de l’avoir fait, car pour une professeure écrire, c’est transmettre ! Et encore plus heureuse -même si je ne sais pas où je vais exactement- de lancer à sa suite le club « Génération #Startuppeuse and WO/MEN experts » Wirate[3].

J’avais promis un roman sur ma vie, à Marine pour ses 15 ans. Le temps a passé et Marine en a 30. Il sera dit que je préfère écrire sur des projets d’entreprise et de vie. J’ai dédié ce livre à Marine, acte de transmission, d’encouragement, de soutien et d’amour inconditionnel. Au travers d’elle, je parle à toutes les autres : celles que je croise, encourage dans leurs projets. Ces jeunes femmes et jeunes filles qui cherchent à donner du sens à leur vie, au sein de leur job ou/et en créant des associations et des entreprises. Au sein de leur boite, elles cherchent à fonctionner autrement, avec leur projet d’entreprise, elles veulent à leur manière, dans leur domaine, à leur échelle… Changer le monde!

Ce livre relève d’un engagement, auprès des femmes de ma génération et de leurs descendantes (nos filles – mes étudiant(e)s), les Milléniales. Il porte une croyance en l’entrepreneuriat comme moyen de se réaliser et de changer les codes, il dit ma vision d’un monde plus égalitaire entre hommes et femmes, d’un monde où l’autre est l’altérité et non l’opposant. C’est un livre témoin sur les combats communs pour demain, un appel à la solidarité transgénérationnelle. Et comme je vais au bout de ma logique, je fais passer au crible certains de mes constats par une #startuppeuse pas comme les autres, ma propre fille. Transmission ou partage ?

Mes constats « centrifugés » par Marine fondatrice de @Voyagir[4]

1. Les #Startuppeuses de la GENERATION Y sont éduquées dans l’idée d’égalité et de réalisation personnelle par le travail, mais elles ont vu leurs parents souffrir et ont une conscience claire des bouleversements du monde… Elles se sont donc mises à penser et jouer autrement leur vie souhaitant jouer un rôle actif dans ces changements de modèles tout en préservant leur équilibre de vie. 

marine-de-beaufort-women-up-voyagirIl faut veiller à ne pas faire de son propre cas une généralité, mais ayant également travaillé sur le sujet de l’équilibre des temps de vie, je crois que cet aspect de la Génération Y est très pertinent, et peut être encore plus pour nous, les jeunes femmes. Nous avons grandi avec des mères, modèles de carrière, mais pas toujours de femmes épanouies et issues de la génération divorce pour nombre d’entre nous. Par réaction, nous avons ancré l’envie de réussir professionnellement : hors de question d’être mère au foyer tout en ayant à cœur de ne pas sacrifier notre vie personnelle. Cela se traduit, 1 : par l’envie d’avoir du sens dans son job, 2 : de prioriser sa vie perso, 3 : donc de trouver des solutions innovantes pour gérer tout ça.

Aujourd’hui, je suis une Startuppeuse engagée pour le Tourisme Durable et je vis à Montpellier. Ce choix qui s’avère pertinent à postériori, était purement personnel au départ : plus envie d’être enfermée à Paris, besoin de vert et de soleil, et rencontre amoureuse. C’était ça ou carrément un pays tropical. La campagne de crowdfunding récemment achevée sur @ulule et réussie, nous donne les moyens de faire le nécessaire pour que Voy’Agir puisse se développer de n’importe où dans le monde car on a envie de bouger. Nous sommes la génération Erasmus et Internet facilite le nomadisme. Oui, je bataille pour conserver un équilibre personnel avec mon compagnon, mes amis et des engagements associatifs.

La priorité absolue, c’est de chercher à être heureuse ! Parce que, si  nos mères nous ont donné beaucoup d’amour et de soutien, en tout cas la mienne, je ne peux pas dire qu’elles ont su préserver cet équilibre. Je voudrai leur montrer que c’est possible, pour qu’elles n’aient pas fait ces sacrifices pour rien. Parfois, je me dis même que c’est un devoir, de savoir profiter de cette chance qu’elles nous ont offerte.

2. Créer une entreprise est désormais un acte politique ! Elles créent « for doing good ». Les projets de la génération #startuppeuse partent souvent du constat d’un manque dans le système, dans la société, manque auquel elle souhaite remédier en utilisant les nouveau outils du digital et en intégrant intrinsèquement les valeurs dites de l’ESS, même si tous les projets ne relèvent pas de ce secteur stricto sensu.

Je suis clairement devenue #Startuppeuse par engagement, suite à l’identification d’un manque auquel je voudrai remédier parce qu’il peut aider à changer le monde ! On ne peut poser comme postulat que toute notre génération ait un engagement aussi fortement ancré. En revanche, nous avons toutes besoin d’un « purpose » et de #DoGood, d’une manière ou d’une autre. Cela peut être central dans l’objet du projet ou constituer un aspect plus « secondaire » dans la manière de faire, par exemple, mais le besoin est là.

Dans mon cas, la quête de sens est présente depuis longtemps. J’ai une maman remarquable mais j’avais aussi une grand-mère héroïque qui à plus de 66 ans a passé les années de la guerre dans les Balkans, à accompagner les camions de la Croix Rouge au–delà des frontières bosniaques et serbes, pour distribuer matériel médical, nourriture, jouets et vêtements dans les orphelinats. Chaque fois, on avait peur qu’elle ne revienne pas. C’est naturellement que j’ai commencé, à la fac, à faire de l’humanitaire au Togo et qu’une fois mes études en stratégie d’entreprise terminées, consultante en SIRH, j’ai voulu faire et obtenu en cours du soir, un Master en Développement Durable pour « aider le monde ».

J’ai toujours eu le goût du voyage pour découvrir les autres et me redécouvrir. Le voyage lent, en solo et en mode backpacker pour avoir un contact avec la nature et la population, faire des rencontres. Le mémoire requis pour obtenir mon Master au CNAM m’a donné l’occasion, alors que je remettais en question mon job et mon type de vie, de partir en voyage travailler sur l’écotourisme. En Amérique centrale, j’ai pris conscience de l’impact terrible du développement du tourisme à échelle mondiale, lorsque comme dans de trop nombreux pays, le tourisme se développe sans considérations responsables et devient source de déstabilisation économique, de dégradation de l’environnement local et de désorganisation des sociétés traditionnelles. Alors que le tourisme responsable peut avoir un impact si positif. C’est ainsi qu’a germé ce projet un peu fou : développer Voy’Agir une plateforme collaborative de voyages responsables.

3. Génération connectée mais pas si prisonnières du digital, elles ont grandi avec les outils du web et les RSS, savent les décoder, se les approprier sans se faire envahir. Par ailleurs, elles ont besoin de réhumaniser leurs relations et ont souvent des engagements bénévoles.

Je suis souvent impressionnée par l’usage des réseaux sociaux que fait Maman, l’impact qu’elle arrive à avoir. En même temps, elle en a un usage assez artisanal, elle n’a pas l’ADN des réseaux sociaux. Elle a su, comme un certain nombre de femmes de sa génération qui sont des référentes pour moi, se les approprier pour le travail, mais elle ne perçoit pas l’utilisation personnelle, par exemple sur Pinterest, elle a des tableaux professionnels avec des infographies, jamais eu l’idée de faire un tableau sur la décoration ! Je crois que cela participe à un workalcoholism de nos mères qui ont fait carrière !

Il me semble que notre génération utilise les RSS pour le pro et le perso de manière différente. On maitrise mieux les fonctionnalités et surtout il y a une conscience de se protéger de cette intrusion constante (vade retro smartophonas) dans nos vies. Je les utilise pour ce qu’ils sont et m’apportent, en essayant de ne pas me faire envahir. Par exemple, je demande à ma communauté (perso ou pro selon) Facebook : info, service, conseils. Je l’utilise aussi évidemment pour communiquer sur Voy’Agir (pro) et pour faciliter le maintien de contacts notamment en voyage ou organiser des évènements (pro ou perso) avec un MeetUp. Ces outils sont une évidence, nous n’avons jamais travaillé sans eux. Cela crée une grosse différence d’usage, avec Maman qui pour le coup a bien su créer et fidéliser un réseau et sait faire du buzz, mais elle y va au nez, ignorant nombre de fonctionnalités qui lui faciliteraient le travail. D’ailleurs, à bien y regarder les femmes de sa génération qui sont connectées, sont un peu « hyperactives » : il y a des résultats, mais au prix de beaucoup de temps et d’efforts.

Nous, les Milléniales, maitrisons mieux une communication ciblée et sommes moins à courir après le flux d’informations qui n’en finit pas. Et puis surtout, les réseaux sociaux, ne remplacent pas les contacts humains qu’ils relèvent du domaine du pro ou du perso. L’engagement pour des causes sur Facebook ou change.org n’a pas la même dimension qu’un investissement associatif. On est nombreuses à être investies en dehors du job. A titre personnel, je suis membre de deux associations montpelliéraines : la Jeune Chambre Economique où j’ai un rôle actif et les Wondermeufs, association de soutien aux femmes qui veulent changer les choses pour elles ou dans le monde. Nous y assumons un côté décalé et culoté. Je le ressens comme un espace de bienveillance où je peux aider d’autres femmes et me faire aider, qu’il s’agisse d’échange de compétences ou d’écoute. Ainsi, j’essaie d’équilibrer ma vie autour du développement de ma startup, sans compter mon compagnon et mon chat.

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4. Leur projet s’insère souvent dans leur construction personnelle, au cœur de leur vie, la séparation pro / perso a quasiment disparu avec le digital et la mobilité qu’il permet, mais aussi parce qu’elles embarquent leur petit monde dans l’aventure. Associée moi–même, et ce n’était pas prévu, dans @voyagir, je me demande s’il n’y a pas une nouvelle génération d’entreprises créées par les enfants auxquelles les parents vont participer mais avec leur enfant comme boss. Les ponts doivent se faire entre nos générations et c’est valable sur des projets dans les grandes entreprises.

A y réfléchir, au-delà du duo associé maman et moi, j’ai en effet remarqué que plus en plus des associations sur un projet se développent. En fait, c’est logique : dès que vous n’êtes plus sur un Business Traditionnel et qu’il y a lien avec le numérique, c’est les Y les « sachants ». Je pense comme maman que c’est une superbe opportunité de travailler main dans la main, d’égale à égale, en apportant chacune une expérience et une compétence ou une manière de voir les choses différente.

Cependant, il y a difficultés non négligeables en termes de posture respective. En ce qui me concerne, même éduquée librement et enfant-princesse, c’est difficile d’être boss de mes parents. Spontanément je m’attends à ce que Maman (ou mon père également associé mais plus en retrait) aient la solution au problème, alors que si je suis directrice de l’entreprise que c’est moi qui doit décider et assumer. Et, ils n’ont pas dans mes domaines d’expertise les réponses. De son coté, maman est parfois déstabilisée parce qu’elle voudrait faire d’une certaine manière et qu’elle a l’habitude de diriger ; or c’est mon entreprise, donc je décide. Savoir manager un plus senior, en plus lorsque c’est sa mère, une mère qui a tant de bonne volonté, car elle ferait n’importe quoi pour moi, est un sacré challenge.

Dans notre cas se pose également un autre problème, je dois « me faire un Prénom ». Maman est reconnue et occupe parfois la place. C’est compliqué de bénéficier de son expérience et de son réseau, tout en démontrant qu’on ne lui doit pas tout. Ça m’arrive de refuser du soutien alors qu’elle l’apporte volontiers à nombre d’autres startuppeuses, un peu idiot de ne pas bénéficier de son expérience et son carnet d’adresses. Ça vaut donc vraiment la peine de travailler ensemble, elle apprend elle aussi. Il s’agit bien de transmission mutuelle donc partage de savoirs et dans la bienveillance. Trouver un mode de fonctionnement équilibré est un casse-tête.

C’est d’ailleurs vrai dans les milieux professionnels classiques, la GEN X a du mal à gérer la GEN Y or, la GEN Y mathématiquement prend le pas sur la précédente. Si on y arrive avec Marine pas à pas, avec beaucoup d’écoute, en acceptant le point de vue de l’autre, en mettant de côté son égo, il y a une voie pour avancer plus globalement !

 

5. Si malgré cet enthousiasme, cette agilité, cette détermination… leur projet échoue, elles rebondissent ; elles ont souvent anticipé la possibilité cassant ainsi les codes usés de notre culture entrepreneuriale paralysée par la peur de l’échec.

C’est vrai que j’ai une vision du projet : la plate-forme Voy’Agir, doit permettre aux utilisateurs (vous et moi) de référencer des adresses responsables testées par d’autres voyageurs, tandis qu’eux-mêmes pourront bénéficier des bons plans des autres. Ainsi, on référence un éco Lodge, une auberge de jeunesse, un musée, des randonnées, mais aussi des restaurants et boutiques écoresponsables de sa ville ou d’ailleur. La plateforme et le blog se veulent également un lieu de partage de bonnes pratiques et de sensibilisation au #DD. Ce dispositif-là doit être gratuit et au service de l’amélioration des comportements des voyageurs et des professionnels. Voy’Agir est potentiellement un Trip Advisor du voyage responsable pour que voyager responsable devienne la norme.

Si cela ne fonctionne pas, cela ne sera pas un échec. J’ai déjà tellement appris sur moi et mes envies, je suis montée en compétences, me suis fait des amis aussi. Quoi qu’il arrive, la plate-forme constitue un beau carnet d’adresses responsables pour ceux qui voudront l’utiliser et peuvent continuer à l’enrichir. Il n’y a pas d’échec quand on a apporté sa pierre et bien d’autres moyens de continuer à le faire. Et c’est vrai que pour être sereine, et ne pas être paralysée par l’idée de l’échec, j’ai pensé à d’autres projets et activités que je pourrai mener pour vivre, dans la ligne de mes valeurs…

Elles nous guident vers une nouvelle ère ! Mais attention, ces jeunes femmes qui ont à priori dépassé les freins moteurs de ma génération sur l’approche du risque, la construction d’un projet ou le rapport à l’argent, ont besoin d’un accompagnement, technique parfois, mais souvent davantage d’une écoute bienveillante. Je crois au cross-mentoring entre générations et c’est ce que je pratique IRL avec Marine qui m’apprend tant sur des méthodes de travail et des outils inconnus de moi, que sur la manière de gérer mon stress, tandis qu’à mon tour je la conseille sur des aspects juridiques, épluche le web sur ses sujets et lui donne accès à mon réseau en confiance. Aimons-les Milleniales comme elles sont, soutenons-les et inspirons nous d’elles et d’eux !  Etre Y, c’est dans la tête !

Voir l’interview de Viviane de Beaufort sur BFM Business :

[1] Professeure de droit européen à l’ESSEC, engagée de longue date sur la mixité, elle a vu arriver la GENY et adhéré à ses questions et ses actions, notamment sur l’esprit d’entreprise. Elle a souhaité publier « Génération startuppeuse ou la nouvelle ère» chez Eyrolles en 2017. http://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/generation-startuppeuse-9782212562880  parce qu’il y a un phénomène générationnel réel qui explique les startups en nombre mais peut aussi bouleverser le modèle de la grande entreprise.

[2] Marine est diplômée de Dauphine en Organisation et Stratégie d’entreprise, consultante pendant 4 ans durant lesquels elle réalisé en plus le M2 Management du développement durable au CNAM , trilingue et voyageuse, elle a fondé la startup  Voy’Agir : https://voyagir.org/fr/ et  y consacre toute son énergie. Elle vit  désormais principalement à Montpellier.

[3] https://wirate.co/fr/clubs/generation-startuppeuse-and-wo-men-experts

[4] https://voyagir.org/fr/, http://blog.voyagir.fr/ @Voyagir – E-tourisme responsable en mode collaboratif

Céline est une jeune spécialiste des medias, bercée par l’innovation et l’univers du digital. Après plus de 5 ans passés à évoluer au sein du premier groupe media français, elle décide en 2017 de fonder Gender Busters, un cabinet de créativité pour accompagner les entreprises à franchir leur dernier kilomètre vers la mixité. Engagée au travers de WoMen’Up, elle s’investit pour faire voler en éclats les a priori sur les jeunes générations et la mixité. Poursuivant des études sur le Genre, elle souhaite proposer un féminisme démocratisé avec un regard neuf, jeune et décomplexé. Plus que jamais investie pour bousculer les stéréotypes, Céline est l’ambassadrice d’un renouveau féministe porté par WoMen’Up, aussi bien en entreprise que dans la société civile, afin de redéfinir les codes de notre monde.