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Prendre ses responsabilités par Emmanuelle Duez

Il y a quelques années, WoMen’Up naissait, à la croisée d’un constat et d’une intuition.

« Le constat d’un plafond en acier trempé »

Le constat, sans appel, que j’avais pu observer, auquel je ne voulais pas croire du haut de mes 24 ans bien diplômés, c’était celui d’un plafond de verre persistant, un plafond en acier trempé devrait-on dire, qui perdurait au gré et malgré les générations. J’étais alors convaincue, comme nombre d’entre vous, que la mixité HF en entreprise était un sujet éculé, un sujet de rabajois(e)s, un faux sujet. Que nos grand mères ne s’étaient pas battues pour rien, que nos mères se s’étaient pas appropriées massivement le monde de l’entreprise pour rien, tout cela devait évidemment avoir pour conséquence logique de nous permettre à nous, filles et petites filles, de jouir sans entrave d’un épanouissement professionnel réel et sans limite. Erreur, grossière erreur … Les freins, endogènes et exogènes, étaient et sont toujours là. Les entreprises en portent les stigmates culturels, les femmes en portent les cicatrices comportementales.

Censure et auto-censure se conjuguaient toujours parfaitement sous mes yeux incrédules de jeune femme naïve. Il fallait faire quelque chose, alerter la terre entière, sensibiliser toutes celles, nombreuses, qui se leurraient, se berçaient d’illusions avant même l’entrée dans la vie active.

« La génération Y : un levier de transformation inédite des organisation et un allier surpuissant pour la mixité »

S’il fallait éveiller ou réveiller les femmes, il fallait aussi faire bouger les patrons, ceux là mêmes qui ont entre leurs mains le pouvoir d’impacter la culture d’entreprise, d’accélérer la prise de conscience collective, de décréter les priorités, de conduire le changement. Comment ? En allant au bout d’une intuition lourde, persistante : la nouvelle génération d’hommes et de femmes, élevée par des mamans ayant majoritairement travaillé, serait inconsciemment héritière et porteuse des combats féministes des 30 dernières années. Le worklife balance ? Une exigence. La flexibilité des temps de vie ? Un acquis. La méritocratie ? Une évidence. Derrière ces aspirations sans cesse rabâchées en entretiens d’embauche par ceux que l’on qualifiera plus tard, avec plus ou moins d’amour et de bienveillance, de « génération Y », se cachaient en réalité les attentes des femmes en entreprise depuis des dizaines d’années : travailler différemment et être reconnues à sa juste valeur. Ces nouveaux collaborateurs, produits de l’époque et de leur éducation, qui attendent aujourd’hui autre chose de l’entreprise et le lui font bien savoir, représentaient, j’en étais convaincue, à la fois un levier de transformation inédite des organisations et un allier surpuissant pour la mixité. Il n’était plus seulement question des femmes, mais désormais aussi des jeunes, le tout dans un contexte de guerre des talents. Voilà de quoi interpeller, à défaut de convaincre, des patrons assis sur leurs certitudes.

Et WoMen’Up naquit…

Notre première mission consista à supporter de preuves nos intuitions. A coup d’enquêtes internationales , de travaux et publications (toujours à contre courant), de lobbying et prises de parole multiples, nous sommes parvenus à consolider une vision et embarquer avec nous entreprises, institutions, écoles, chercheurs. Voilà pour la légitimité. Cela nous prit 2 ans.

Il s’agissait ensuite de transformer l’essai. Nous avons alors créé La Fusée, un incubateur de potentiels, où des promotions de 50 jeunes hommes et femmes furent sensibilisés chaque année aux enjeux de la mixité. Notre enjeu à nous était très clair : créer des abeilles Y super formées et super engagées qui polleniseraient à leur tour l’Entreprise, contaminant en bottom-up ses habitants de notre vision inclusive, mixte, fraiche et générationnelle. Cela nous prit 4 ans. Merveilleux.

Nous osâmes au fil du temps sortir de l’enclavement « mixité HF » pour nous aventurer sur des sujets connexes : l’entrepreneuriat de soi voire l’entrepreneuriat tout court ; la politique, la religion, l’armée. Car oui, une des libertés intellectuelles que confère cette approche générationnelle de la diversité HF, c’est qu’elle permet d’analyser en transversal tous les sujets sociétaux. Ce regard mixte et frais porté sur notre vie, notre réalité, nous nous sommes permis de le développer, de l’aguerrir, de l’éprouver.

Puis vint l’heure du bilan. 6 ans de travail, d’aventure humaine, de rires, d’adrénaline, de conviction, de stand up en WoMen’Up. Nous regardâmes ce qui avait bougé, ce qui restait figé, ce qui régressait. Entre temps, la loi Copé Zimmermann était passé par là, et force est de constater que toutes les initiatives cumulées, la notre mais surtout toutes les autres, avaient eu de l’impact. Démocratisation du sujet, inclusion des  hommes et nouvelles générations dans les réflexions, prise de conscience du patronat #jamaissanselles … Evidemment ce n’est ni parfait ni achevé, les chiffres sont toujours là pour en attester, mais le paquebot a bougé. Il aurait bougé sans nous, assurément, mais peut être a-t-il pris un peu de vitesse, de fraîcheur et de fun avec nous. Et c’est déjà énorme.

« Personne n’est descendu dans la rue. Ni les hommes ni les femmes. Ni la génération Y, héritières des combats féministes des 30 dernières années »

Nous regardâmes alors en dehors de l’entreprise, ce qu’il s’était passé entretemps. Des chiennes de garde aux Femen, du débat sur la PMA au mariage pour tous, de Zemmour qui voit dans l’émancipation féminine une cause du « péril » français aux zemourrettes qui peuplent les plateaux TV se revendiquant anti IVG, du voile au burkini, du débat sur la TVA des tampons à la folie éditoriale autour des règles, jusqu’au récent baiser scandaleusement volé sur le décolleté d’une jeune femme toute de cuir vécue, qui proteste, (…) il s’en était passé, des choses. Politiquement ce fut d’ailleurs un florilège, du claquement de string de journaliste par un ministre (toujours en poste, hallucinant au demeurant) au rejet par une assemblée nationale désespérément vide d’un amendement visant l’inéligibilité d’élus condamnés pour violences et notamment agression sexuelle, en passant par les sifflets sur la robe fleurie de Cécile Duflot.

Pourtant … personne n’est descendu dans la rue. Ni les hommes ni les femmes. Ni la génération Y, héritières des combats féministes des 30 dernières années. Nous n’avons pas compris pourquoi. Alors nous avons creusé, pour nous rendre compte qu’aux évolutions en Entreprise faisaient peut être écho des régressions majeures traversant la société française. Concentrés que nous étions sur notre dessein corporate, nous n’avons pas vu qu’ailleurs les choses ne bougeaient pas dans le même sens. « La Société » et « les sociétés », manifestement il ne s’agissait pas du même combat. Et Michelle Perrot, historienne et militante féministe, de préciser notre crainte « Le droit a beaucoup progressé, les mœurs un peu. L’égalité civile est réalisée, l’égalité politique en principe. Mais la difficulté, c’est de passer du droit au fait. Dans tous les domaines, on observe une inégalité persistante, en raison des représentations d’une hiérarchie qui se maintient dans l’imaginaire collectif, notamment dans beaucoup d’esprit de femmes ».

« Elles n’ont pas de Simone de Beauvoir moderne pour les aider »

Mais alors … qui, pour porter ces convictions qui nous animent ? Qui pour s’indigner, pour dénoncer, pour proposer ? Qui pour poser sur ces sujets et sur la société un regard novateur, décomplexé, contemporain, débarrassé des sacro-saintes idéologies de domination masculine qui fondent encore nombre de discours féministes ? Qui avions nous envie de suivre, d’entendre, de relayer ? Quels rôles modèles comme phares et étendards de nos idées et idéaux ? A la fois tout le monde et personne. Le message que nous aurions aimé voir porté et incarné était dispersé aux quatre coins des médias, de la toile, des think-tanks et des initiatives. « Elles n’ont pas de Simone de Beauvoir moderne pour les aider. Aujourd’hui, il n’y a pas de mouvement féministe populaire, avec un côté un peu massif qui toucherait un plus grand nombre de femmes », constate encore Michelle Perrot.

« Nous avons la prétention immense d’impacter un peu le monde qui nous entoure »

Cette absence de vision consolidée de ce qui nous faisait vibrer nous a mis face à nos responsabilités, nous – l’équipe WoMen’Up, ces hommes et femmes qui avons la prétention immense d’impacter un peu le monde qui nous entoure avec beaucoup d’énergie, nous – cette jeunesse dont on parle tant, qui descend dans la rue pour le CDI mais pas pour l’exemplarité de sa classe politique. Peut être était il venu le temps de quitter le petit bassin, l’entreprise qui bouge, pour se jeter dans le grand bain, la Société Civile, si lente à la détente. Y prendre position et partager avec tous ceux qui le voudront, d’accord comme pas d’accord, un regard frais sur les sujets qui nous rendent fous, qu’ils aient trait à la mixité, à la société ou à l’entreprise. C’eut été trop facile de se plaindre sans prendre part au débat. Pour vous comme pour moi. Nous y voila.

Nous lançons aujourd’hui WoMen’Up version 3 : un média, collaboratif et ouvert, pour donner à voir ce que nous pensons, le « nous » étant vous. Car au fil de ces 6 ans nous avons fédéré une communauté, de plus en plus nombreuse, dans et en dehors de l’entreprise, de jeunes et moins jeunes qui ont l’audace d’avoir des idées et le courage de les porter. Maintenant à vous de jouer. Prenez vos responsabilités.

Emmanuelle est une serial entrepreneuse passionnée. Après des études à rallonge (Droit, Sciences Po Paris, ESSEC, Bocconi), elle fonde en 2011 WoMen’Up, 1ère association mêlant les thématiques de genre et de génération. L’ambitions est double : pour l’entreprise, mettre les jeunes et notamment les hommes au cœur des politiques de mixité, pour la Société Civile, promouvoir une vision décomplexée d’un féminisme postmoderne. En 2013, elle lance The Boson Project, cabinet de conseil et centre de recherche atypique et engagé, qui porte et apporte au fil des missions une réponse à la question suivante : et si le capital humain était un véritable trésor et le seul levier qui vaille pour transformer de manière pérenne les organisations ? En 2014, elle met son énergie et ses convictions au service de la Marine Nationale. Devenue Enseigne de Vaisseau; elle travaille à la création de ponts entre la société civile et le monde de la mer et des marins. Conférencière, auteur de nombreux articles et enquêtes, administratrice de 3 sociétés, elle s’est fait une mission que d’évangéliser sur les opportunités de ce nouveau monde.