Nous sommes le 12 Décembre 2016. Je devrais être en train de préparer ma présentation de cette après-midi ou de rédiger un article que je dois depuis plusieurs jours … mais je n’y arrive pas. Je suis scotchée à Twitter et je lis avec horreur les messages qui défilent sous le hashtag #Aleppo. Je rafraichis frénétiquement les profils de Bana Alabed[1] et d’ Ismail Alabdullah[2]. L’angoisse me serre la gorge : pourvu qu’ils restent en vie… Eux et tous les autres.
Comme souvent quand je pense aux Syriens, mes pensées glissent vers cette grand-mère que je ne connais pas. Mon oncle m’a raconté un jour qu’elle avait fuit l’Andalousie avec toute sa famille car mon arrière grand-père, imprimeur, avait eu le courage de publier des ouvrages qui avaient déplu au gouvernement de l’époque. Je m’étais alors demandé ce qu’avaient pu penser leurs contemporains français de la situation en Espagne : des vagues d’immigrés[3] débarquaient dans leurs pays, victimes d’une guerre civile… Les avaient-ils repoussés comme nous le faisons actuellement avec les réfugiés du Moyen-Orient ? Comment les avaient-ils accueillis ? Pourquoi avaient-ils choisi de s’intégrer au point de se dissoudre dans l’identité française ? Je me suis aussi étonnée : pourquoi avait-on laissé faire un tel massacre ? Quelles furent les réactions de la communauté internationale devant un tel événement ?… Peut-être que les gens ne les croyaient pas… Sans smartphone, sans appareil photo même, ça devait être beaucoup plus compliqué de ramener des preuves… « C’était une autre époque » conclut mon oncle. Ce fut la seule fois en 25 ans où je pus aborder ce sujet en famille.
Mais dire que cette violence passée sous silence ne nous a pas impacté, nous enfants et petits-enfants, serait faux. Une telle violence se meut en un serpent, rampant et insidieux, qui se transmet de génération en génération. A force de non-dits, on intègre l’horreur que nos aïeux ont vécu. On reçoit le traumatisme en héritage[4], et les conséquences à un niveau individuel et collectif sont nombreuses : envie de vengeance, troubles neurologiques, mentaux, confusion d’identité… Bref, de la brutalité. Encore. La bonne nouvelle dans tout ça ? Il est possible de mettre fin à ce cycle de barbarie. Je le sais, car moi et de nombreux autres, nous l’avons fait. Ce n’est pas facile, et sans le bon environnement c’est quasiment impossible ; mais il existe aujourd’hui des traitements efficaces[5]. Ces traitements sont accessibles en France, et dans la plupart des pays développés. Alors j’en appelle au leader qui est en nous tous : à défaut d’avoir pu faire quoi que ça soit pour stopper ce conflit, nous pouvons accueillir les réfugiés et les aider à vivre libres : en commençant par refuser les discours racistes et xénophobes de nos politiques et en souhaitant la bienvenue à cet autre qui nous fait si peur.
Le conflit syrien aura des répercussions. Il en aura pendant longtemps. Ceux qui en réchapperont auront des enfants ; et ces enfants, des enfants à leur tour. Alors ma question est très simple : quels citoyens les laisserons-nous devenir ?
PS : Si vous voulez vous investir, https://aiderlesrefugies.fr/ recense toutes les actions menées en France
[1] Petite fille de 7 ans qui tweet depuis Alep Est, on la compare régulièrement à Anne Franck dans les médias anglo-saxons
[2] Casque blanc syrien, activiste, opposé à Bachar el Assad et Daesh, il apparaît depuis quelques mois dans l’émission Quotidien
[3] Entre 300 000 et 500 000 immigrés espagnols vécurent en France durant tout le 20ème siècle, source : https://goo.gl/ihSZ26
[4] Pour les curieux, je vous encourage à lire les livres de Helene Epstein et Boris Cyrulnik sur le sujet ainsi que cet excellente conférence : https://goo.gl/V05zn9
[5] Par exemple, la thérapie EMDR qui est traitement actuellement préconisé par l’OMS en cas de traumatisme