Révèle fait partie de ces start-up qui vous reboostent : d’une part parce que le projet est engagé, mais aussi parce qu’elle est portée par deux jeunes femmes pleines de valeurs, d’optimisme et de force. Rencontre avec Laetitia Pingel et Clémence Fabre, fondatrices de Révèle, notre coup de coeur de ce début d’année.
WMup : Bonjour Laetitia et Clémence, est-ce que vous pouvez nous raconter votre histoire ?
LP : Avec Clémence, on s’est rencontrées en prépa, puis on a eu l’opportunité d’intégrer HEC toutes les deux. J’avais déjà fait du rugby plus jeune et j’ai proposé qu’on s’y remette en universitaire. On a joué pour l’équipe d’HEC et on était co-capitaines. C’est en deuxième année, au moment de recommander les nouvelles recrues sur les équipements nécessaires et où elles pouvaient les trouver qu’on s’est rendu compte qu’on était obligées de leur dire d’aller aux rayons Hommes ou Enfants. L’idée a fait tilt et a ensuite mûri pendant notre Spécialisation Entrepreneuriat.
CF : C’est à cette occasion qu’on a concrétisé l’idée, qu’on a identifié l’opportunité et surtout qu’on s’est dit qu’on pouvait changer les choses pour les femmes qui nous ressemblent. Il y avait un besoin et les études de marché nous ont permis de le prouver. On était tournées très rugby au début, il y a eu un vrai plébiscite de l’idée par les joueuses. En sortant d’HEC, on a créé une première marque dédiée au rugby qui s’appelait Lady Crunch. Ça a été notre grand saut dans l’entrepreneuriat, avec ses joies et ses déconvenues. Rapidement, on s’est rendu compte que ce n’était pas suffisant : on avait quasiment tous les jours, des demandes d’autres sportives venant d’autres sports.
WMup : Comment est née Révèle ?
LP : A partir de là, on s’est questionnées sur le point commun qui liait tous ces sports. Il se trouve que ce sont des sports qui sont, dans la très grande majorité, traditionnellement masculins. L’équipement y est pensé pour les hommes et pas pour les femmes qui sont obligées de se rabattre sur des produits de substitution. En creusant, on a réalisé que ce qui manquait vraiment concernait les protections parce qu’il s’agissait quasiment tout le temps de sport de contact ou de sport à impact.
On a changé le nom de la marque, Lady Crunch est devenue Révèle et on a décidé de s’adresser aux sports de contact en se spécialisant sur le corps féminin.
CF : Il y a d’ailleurs des personnes qui s’étonnent que l’on ne s’adresse qu’aux femmes, notamment parce que le marché des hommes est plus important. C’est le cas, mais ce n’est pas ce qu’on veut apporter. Révèle est aujourd’hui la première marque d’équipement et de protection pour les sports de contacts (sports collectifs, sport de combats, roller derby). Notre volonté a tout de suite été de créer de l’équipement avec de la technicité car c’est ce type de produit que les filles avaient du mal à trouver. Les exigences du corps féminin ne sont pas les mêmes et les protections n’étaient pas adaptées.
WMup : De plus en plus d’entreprises, de start-up, de communautés se créent autour du sport depuis ces dernières années. Pourquoi est-ce que vous avez choisi de vous lancer là-dedans, comment est-ce que vous appréhendez cet éco-système ?
LP : Par rapport à l’environnement des start-ups du sport, on a une vraie différence dans le sens où Révèle s’appuie sur des produits « réels », palpables. Il y a évidemment tout ce qui touche aux objets connectés et applications dont le but est d’apporter un service ou une information supplémentaire au sportif, mais c’est vrai qu’on reste un peu l’ovni de l’éco-système actuel, avec un produit textile, même si on y est très présentes.
CF : On a un produit très physique qui se porte au quotidien, qui n’est pas sur un smartphone. On est dans la base du sport, la préhistoire presque. Tout simplement parce que les femmes en sont à ce stade-là aujourd’hui : elles se demandent comment elles vont trouver un équipement qui leur va.
LP : Les valeurs du sport ont évidemment un lien avec notre mission.
Si on s’appelle Révèle c’est parce que pour nous le sport est révélateur de personnalité et des différentes facettes de la féminité. On veut réconcilier les femmes, et les autres, avec ces différentes facettes. On voudrait qu’on arrête de dire à une fille qui fait du rugby « Tu fais un sport de mecs » et tous les clichés qui vont avec.
CF : Notre volonté c’est aussi de développer l’entraide entre les femmes. Dans une équipe, il faut s’aider pour faire bouger les choses.
WMup : Votre projet est définitivement tourné vers les femmes, vers l’envie de casser certains stéréotypes. Est-ce que vous vous décrivez comme féministes, est-ce que vous vous reconnaissez dans la nouvelle vague féministe ?
LP : On a beaucoup évolué sur le sujet. Il y a quelques années, la vision qu’on avait des féministes était très négative. A force de bosser dessus et en s’attachant au sens de « rechercher l’égalité », de défendre les droits des femmes, aujourd’hui on dit évidemment oui. On se reconnait dans un féminisme peut-être plus apaisé, parce qu’il faut des postures différentes aux différents moments de l’évolution.
CF : On est tout à fait féministes dans cette nouvelle vague, parce qu’elle a évolué. On n’est pas dans la revendication ou dans la revanche contre les hommes. On a réalisé qu’il nous manquait des choses, alors on se bouge pour qu’elles existent. On rétablit une égalité. On considère que tout ce qui n’est pas juste, nécessite d’être cassé. On veut montrer aux femmes à quel point elles sont fortes alors que souvent elles ne le savent pas. Le sport nous a révélées et toutes les filles qui sont passés par là se sont rendu compte qu’elles étaient capables de plus. Le but c’est d’arriver à se dire « si j’ai réussi à faire ça dans le sport, je peux le ressortir à un autre moment de ma vie et ça me donnera une force incroyable ».
Mais notre position est maitrisée plutôt qu’ « énervée ». D’ailleurs, les filles qui pratiquent les sports de contact vous diront que le plus important est la maitrise de soi. Plutôt que d’être dans la confrontation, on a même choisi d’aller dans les réseaux masculins, d’aller les investir. On a choisi cette posture et on est là tout le temps. Cela permet d’ailleurs de se rendre compte que les hommes posent la question des femmes et que parfois ils en sont leurs plus grands ambassadeurs.
WMup : Quelles sont les personnes qui vous inspirent ?
CF : Sans tomber dans le cliché, l’équipe nous fait avancer. Laetitia, c’est plus qu’une associée, on est amies. Avec notre styliste aussi. Nous avons une confiance absolue entre nous. Il y a une sorte d’admiration mutuelle.
LP : On a aussi différents rôles modèles qui nous entourent. Par exemple : Anaïs LAGOUGINE, ancienne joueuse de l’équipe de France de rugby et aujourd’hui entraineure du Stade Français Féminin. C’est une femme qui n’est justement pas dans la revendication, mais dans l’action.
CF : Il y a aussi des start-upeuses, Laura BEAULIER et Sonia PERELROIZEN, qui ont fondé Kobus App. C’est une application à destination des kinés. Elles nous ressemblent beaucoup et nous étions d’ailleurs dans la même équipe de rugby.
LP : Pour trouver une inspiration plus classique: Véronique BOUREZ. Elle est Vice-Présidente de Coca-Cola Europe et fait partie de notre comité de mentors. C’est une femme extraordinaire, d’une cinquantaine d’années, qui a une prestance qui impose. Elle aussi a un tempérament plutôt calme, dans une logique de faire avancer sans imposer.
WMup : Vous avez une devise ?
LP : Notre baseline : Ready for More ! On se bouge pour faire avancer les choses et pour être prêtes pour le stade suivant.
CF : On aime aussi beaucoup la devise de notre styliste, Jennah Meyer : “I’m not here to prove, just to improve”.
WMup : Quelle est votre plus grande fierté ? Quelle expérience considérez-vous comme la plus impactante dans vos carrières aujourd’hui ?
LP : Je pense que c’est l’énergie et le soutien que l’on reçoit de nos ambassadrices, de voir les preuves de soutien qu’elles nous apportent. On accorde énormément d’importance au relationnel. Le produit est presque secondaire, ce qui compte c’est la raison pour laquelle on le fait. C’est aussi pour ça qu’on s’est lancées si tôt et qu’on l’a fait ensemble. Je ne l’aurais pas fait avec quelqu’un d’autre.
CF : De manière générale, l’accueil des sportives est incroyable, on a des mails de remerciements longs comme le bras. Il y a beaucoup de vérité dans les rencontres qu’on fait.
WMup : Il y a un sujet qu’on aborde beaucoup quand il s’agit des jeunes générations c’est l’équilibre vie pro / perso. On sait que cet équilibre souffre au lancement d’une start-up, comment vous faites pour le maintenir ? Quels sont vos « tips » pour rester motivées ?
LP : Au niveau de l’équilibre vie pro / perso, quand on s’associe avec sa meilleure amie, ça se mélange pas mal !
CF : Très honnêtement, sur le rythme c’est compliqué. Surtout en ce moment on est dans le rouge parce qu’on a lancé notre première campagne. Notre vie c’est Révèle depuis un an et demi, et ça s’est encore plus accéléré les six derniers mois.
LP :
Quand on se lance, il faut avoir un soutien inconditionnel des gens qui vous entourent que ce soit vos amis, votre famille ou votre compagnon. Parce que cela pèse sur vos décisions et c’est le meilleur moyen de ne pas prendre les bonnes. L’environnement doit être conscient de ce qu’il nous arrive quand on se lance dans un truc comme ça.
On a eu de la chance d’être entourées d’entrepreneurs, de personnes qui ont monté des boites et qui comprennent notre situation. On a d’autres amis, qui nous sont très chers mais qui ne comprennent pas toujours ce qu’on vit. On pense qu’il est important d’être indulgents les uns envers les autres. Et il serait certainement intéressant d’être un peu plus réaliste par rapport à l’entrepreneuriat, plus humble en tout cas. Ne pas donner de fausses idées, car il y a des personnes qui vont se lancer et qui ne seront pas prêtes. Il faut être très fort psychologiquement ou accompagné.
CF : Il faut aussi dire qu’il y a une énorme différence entre les talks qu’on entend (Ted, Medium, medias,…) et la vérité de l’entrepreneuriat. Il y a forcément une différence entre ce qu’on communique et qui est nécessaire à vendre notre activité, et la réalité. Il est nécessaire de réconcilier les deux visions de salarié et d’entrepreneur, parce qu’elles sont différentes sans que l’une soit mieux ou plus simple que l’autre.
Notre petit tips : on va au cinéma toutes les deux quand on sent qu’on a vraiment eu une journée difficile!
WMup : Pour vous c’est quoi la recette du succès ?
LP : On aimerait la connaitre ! En numéro un, c’est certainement la résilience. Il est aussi important de savoir pourquoi est-ce qu’on s’est lancé, de définir quelle est notre vision du « succès », de savoir ce que ça signifie pour soi. Et bien sûr il faut oser : oser demander de l’aide, parler de son projet, aller chercher les meilleurs…
CF : C’est valable pour tout d’ailleurs : oser quitter son job, oser ne pas en chercher aussi. Mais c’est effectivement très important d’oser demander de l’aide, ne serait-ce que parce qu’on peut être surpris du retour positif des personnes. Ce qui est fondamental pour nous aussi c’est l’humour. On sait qu’il y a des jours où on va se réveiller, on va se prendre 15 claques dans la journée et 1 bonne nouvelle, donc c’est important de relativiser. Après, le succès c’est quelque chose qui se construit tous les jours.
WMup : Quels sont vos futurs projets ?
LP : Notre développement futur, ce sera l’international pour devenir la référence en termes de produits techniques.
CF : Notre ambition n’est pas que française, on a plein d’achats provenant des pays anglo-saxons où les filles ont les mêmes problèmes. C’est quelque chose qui nous dépasse et qui bouge un peu partout. On n’a pas encore les moyens de rivaliser avec les gros équipements mais beaucoup de filles veulent être des ambassadrices Révèle.
WMup : Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’être Jeune et Engagé ?
CF : Ça correspond énormément à ce qu’on est chez Révèle. Mais ça va aussi avec un changement de société. A l’époque de nos parents, il n’y avait qu’un seul modèle de réussite. Aujourd’hui ça change, il y a d’autres moyens de s’exprimer ou de se réaliser. L’engagement sous toutes ses formes qu’il soit sportif, politique, sociétal permet de l’exprimer. Notre engagement est 100% dans ce qu’est Révèle : on est engagées auprès des femmes qui n’ont pas de porte-parole. On est peut-être biaisées comme on ne travaille pas dans des entreprises traditionnelles, où il y a peut-être moins de liberté, mais elle peut aller se chercher ailleurs.
LP : Aujourd’hui on s’autorise à avoir chacun sa propre vision de la réussite, à trouver un équilibre. C’est dans cet engagement qu’on le trouve.
WMup : Que diriez-vous aux personnes qui hésitent à sauter le pas de l’engagement ?
LP : Oser et ensuite réfléchir à ses valeurs, aux raisons pour lesquelles on veut le faire. Au-delà de trouver du sens, il est important de savoir ce dont on a besoin, de manière terre à terre. Et tous ces éléments constituent une introspection pas forcément facile à faire.
CF : Les choix que l’on fait pour notre entreprise dépendent de nos valeurs, nos besoins, et des raisons qui nous poussent à entreprendre. C’est donc d’autant plus important quand il s’agit de s’engager (s’associer) avec quelqu’un. Il faut avoir conscience que même si on veut changer le monde, il faut assumer derrière. Toujours est-il qu’il faut oser parce que l’aventure vaut la chandelle, même si c’est un échec, il y aura toujours quelque chose de positif qui va en ressortir. Ce qu’on se dit en tout cas !
Alors, Ready For More ?