Avant de quitter la France pour rejoindre le Qatar j’avais bien sûr quelques craintes sur cette expatriation. J’avais des réticences à arrêter de travailler. A quitter mon indépendance financière. Comment font les autres femmes ? Celles qui, par exemple, prennent un mi-temps pour s’occuper de leurs enfants. Ou encore celles qui font le choix de rester au foyer. Qu’ont-elles découvert que je n’ai pas encore survolé ? Comment vais-je supporter de vivre avec ce nouveau statut de femme au foyer ?
En conséquence de toutes ces questions, j’ai participé à une formation sur Les conjoints en expatriation. Une formation qui aide les pièces rapportées à réfléchir à un ou plusieurs projets (personnel, professionnel…). Qui aide également à verbaliser les craintes et à comprendre son propre rôle dans l’expatriation. J’y ai personnellement rencontré des personnes dans le même cas que moi. J’ai pu nouer des liens avec d’autres femmes qui subissaient les mêmes changements radicaux de vie.
Bien qu’une expatriation soit par définition une chance de découvrir de nouvelles choses, de vivre des expériences uniques, d’offrir à ses enfants et sa famille un cadre de vie unique et privilégié… c’est aussi et surtout un gros chamboulement : pour le couple, pour la famille, et pour le conjoint qui ne travaille plus. En l’occurrence : moi.
Il y a 7 mois, mon quotidien était la gestion d’un service client, des imprévus tous les jours. Certes une sur-stimulation au travail, parfois un peu de stress, mais toujours le bonheur d’un travail bien fait. Des collègues agréables, des superviseurs justes et compétents … bref je peux dire que pour quitter ce poste il fallait vraiment qu’on m’en extirpe de force. Ce qui fut le cas.
Aujourd’hui mon quotidien est essentiellement basé sur le confort du foyer : les courses, le nettoyage, la préparation des repas, des pâtisseries pour les goûters des enfants, le rangement la maison. Je m’octroie aussi des moments de détente tels que le Yoga et la couture. Puis finalement il faut déjà récupérer les enfants à 15h30, les sortir au parc, à la piscine, le goûter … et la routine du soir arrive : douche, dîner, histoire et dodo.
En conséquence, me voilà aujourd’hui partagée entre mon idée d’une femme qui réussit : femme active, cadre dynamique, qui a des enfants et un foyer, et qui gère tout cela de front. Et le reflet de ma vie actuelle : femme qui ne travaille pas, qui se pose, qui a des activités par-ci par-là, qui gère un foyer, cuisine des petits plats…
Je n’arrive pas à me dire que c’est devenu ma vie. Jamais cela n’a été un rêve pour moi, jamais je ne me suis projetée dans ce rôle et ce quotidien. Selon mon mari je maîtrise ce poste haut la main, et pour le plus grand bonheur de tous ! Mais au fond de moi je pense surtout à ce qu’on dit de moi. A tous ceux qui sont restés au travail, et qui ont une idée de moi au loin, dans un pays ensoleillé, au bord de ma piscine à me tourner les pouces.
Je ne suis pas triste ni n’ai de rancœur. J’arrive à prendre du plaisir dans cette nouvelle vie et ce nouveau rythme. Mais… mais il me manque quelque chose. L’adrénaline de mon poste d’avant. Côtoyer des personnes intéressantes, avec qui échanger sur des sujets techniques. La recherche perpétuelle de solutions qui était inhérente à mon occupation précédente. Je pense ne pas me tromper en disant que mon travail faisait partie de moi. Qu’il me définissait en partie. Aujourd’hui je me sens parfois seule, inutile et peu intéressante.
J’ai été élevée par une femme très féministe, pour qui l’indépendance face aux hommes était la clé du bonheur. Pour elle il ne fallait pas qu’on soit soumises financièrement à son conjoint. J’ai passé ma vie à écouter sa petite voix dans ma tête qui me disait de réussir ma vie, de faire des études, d’avoir un bon poste. Ce que j’ai fait, puis j’ai rencontré mon mari au travail. Et après quelques années nous sommes partis à l’aventure : en expatriation. Toujours cette petite voix dans ma tête qui allait se demander comment j’allais pouvoir survivre sans « mon » argent. Comment pourrais-je être égalitaire dans le couple si je n’apporte pas ma contribution financière ?
Après ces quelques premiers mois, j’essaye de me faire à l’idée que mes différents rôles au foyer apportent une valeur à ce pot commun. J’ai dû et je dois encore apprendre à me réinventer à travers ce rôle. Je dois réussir à me redéfinir sur ces nouvelles bases qui n’ont jamais été mon référentiel. Et croyez moi ou non, cela m’est très difficile. J’ai parfois même l’impression d’être entre deux vies. Que je viens de quitter ma vie de femme active et que je vivote en attendant ma prochaine vie de femme active.
J’ai le sentiment d’être infidèle aux féministes en restant à la maison, à m’occuper des enfants et de la cuisine !