Entrer dans le code, Sortir des cases
Il y a quelques mois, Le Monde publiait un article intitulé « L’avenir du monde se joue en Afrique ». Conscient des potentialités africaines, le journal questionnait les modèles politiques et socio-économiques à mettre en place pour parachever son rôle de moteur.
Et si l’avenir du monde se joue en Afrique, je rajouterai que l’avenir de l’Afrique repose pleinement sur les femmes et la jeunesse. Les femmes apparaissent comme un levier puissant dans le développement économique et durable des pays africains. Avec l’avènement du numérique et les transformations sociétales importantes que nous subissons, les cartes sont en train d’être redistribuées, l’histoire est à réécrire et les femmes ont un rôle à jouer et plus que jamais elles ont un rôle à prendre en Afrique. Un rôle qui leur est propre et qui doit s’adapter à leur contexte particulier. Entrepreneures, les femmes africaines le sont déjà par essence si on peut dire. Dans les campagnes, ce sont elles qui font marcher l’économie, même si elles n’ont pas forcément les bons outils ou la reconnaissance qui va avec.
Les mentalités évoluent doucement et les stéréotypes de genre sont encore importants. La sensibilisation, l’éducation sont clés et l’accompagnement ainsi que la mise en réseau des femmes sont primordiaux (mieux former, mieux outiller les femmes pour tendre à leur autonomisation).
Evolution ou Rêv’olution
Une femme à qui j’ai demandé ce que représentait l’égalité homme/femme en trois mots m’a répondu : « soumission, obéissance, respect ». Pour elle, c’est tout à fait normal qu’une femme doive obéissance à son mari et il ne faut d’ailleurs pas que cela change. Elle parlait néanmoins de respect mutuel et de courage.
Et du courage, il en faut à ces femmes qui veulent se lancer dans l’entrepreneuriat. Le poids des traditions et des représentations socio-culturelles est encore bien présent et c’est d’ailleurs certainement la difficulté première que rencontrent les femmes qui entreprennent en Côte d’Ivoire.
De plus en plus de structures et de fonds accompagnent les femmes africaines, le plus gros frein réside plutôt dans les mentalités qui peinent à changer.
Une femme qui entreprend est souvent mal perçue et parfois délaissée par sa famille et ses proches. En tout cas, elle est rarement soutenue et c’est très souvent dur à accepter pour son compagnon. La plus grande vertu de la femme africaine est la discrétion, l’effacement.
Alors que paradoxalement, en milieu rural, les femmes sont toutes entrepreneures par nécessité, en milieu urbain on les attend plus au foyer ou dans des postes qui n’empiètent pas sur leur rôle de mère et d’épouse et qui ne les mettent pas trop en avant.
Ils voient la vie en rose
Mixité, une histoire de femmes ? Ce n’est en tout cas pas ce que pensent Jean-Patrick Ehouman (fondateur d’Akendewa et du programme She Is The Code, dont le but est de former les femmes aux outils du numérique et de faciliter leur insertion professionnelle) et Stéphane Atanga (fondateur de lori.biz, plateforme de l’entrepreneuriat au féminin).
Lors de notre entrevue, Jean-Patrick rappelait qu’« On ne peut pas demander aux femmes de s’émanciper sans que nous les hommes nous nous impliquions. Elles ont beau faire leur chemin, il faudra un jour ou l’autre que nous aussi nous leur montrons que nous sommes dans cette acceptation de ce qu’elles sont en train de faire. »
Stéphane, venu tout droit du Canada pour parler de l’entrepreneuriat féminin à l’Africa Web Festival, défendait haut et fort l’implication des hommes dans ce combat et témoignait de la nécessité d’avoir des hommes investis sur ce type de sujets.
Si les femmes doivent être actrices de leur destinée, les hommes ont également une prise de conscience et un rôle à jouer et il ne s’agit pas d’empathie ou de philanthropie mais de vivre ensemble, de bien vivre ensemble et de juste équilibre.
Coding like a girl
Après le « Running like a girl » d’Always, pourquoi pas lancer le « Coding like a girl » des Faiseurs.
Le milieu du coding et plus largement de l’informatique est largement dominé par des représentations et des idéologies masculines. Il y a à la fois un rejet des femmes et un désintérêt de ces dernières pour ce type de disciplines trop masculinisées et souvent vues hors de portée pour les femmes.
Nous parlions à l’instant de Jean-Patrick Ehouman qui a développé She Is The Code pour remédier au problème. Ce programme à destination des femmes est un premier pas dans la conduite du changement.
Et pour Jean-Patrick ce n’est pas qu’une question d’équité. Si l’on s’en tient à ce qui se passe à la Silicone Valley, les femmes réussissent mieux que les hommes.
Retrouvez ci-dessous l’intégralité de l’interview de Jean-Patrick.
D’autres initiatives aident à transformer les mentalités en profondeur comme Babylab. Ce fab lab allie libre fabrication numérique, logiciels libres et travaux collaboratifs. Tourné vers les quartiers populaires et défavorisés, Babylab vise à réduire la fracture numérique et les inégalités dans l’éducation. Les enfants sont au coeur de leurs actions et ils s’adressent aussi bien aux filles qu’aux garçons. Si les filles sont sensibilisées petites, elles n’auront pas de barrières à se lancer dans des métiers techniques.
En parlant de femmes qui bousculent le(s) code(s), Raissa Banhoro fait figure de rôle modèle. Cette jeune développeuse n’a rien a envier à ses homologues masculins. Son application Lucy (programme d’alphabétisation pour les femmes) a remporté le prix du concours Appli Days en 2015 et son équipe a récemment remporté la première place du Hackaton régional de Microsoft et de l’UNDP Egypte pour la technologie et l’entrepreneuriat.
Entrer dans le code, sortir des cases ? Cela pose à la fois la question de savoir s’il faut suivre les codes ou réinventer sa propre destinée. Cela joue également sur la double symbolique « d’entrer dans le code », qui évoque à la fois le fait de suivre les règles mais aussi d’entrer dans le code informatique et de s’affranchir ainsi de certains stéréotypes. Les femmes africaines accompagnées de leurs acolytes masculins doivent trouver leur propre voie pour redessiner leur avenir.
Pour conclure, je reprendrais la citation d’un des makers que j’ai rencontré : « Il n’y a pas de limite pour les femmes, elles peuvent tout faire. » – Fabien Kawé d’Akendewa.