Installée depuis peu au Québec, je me suis posée la question de la place et du rôle des femmes dans cette société francophone mais non française.
D’entrée de jeu et sans approfondir la question, j’ai été marquée par une utilisation du féminin généralisée, là où il peine encore en France à s’imposer. Ici, tout le monde emploie sans sourciller des mots comme « auteure », « chercheure » , « entrepreneures » ou même « mairesse ». Le féminin ne fait pas débat, on l’entend ou le lit aussi bien de la bouche ou de la plume d’une femme que d’un homme, cela semble couler de source, enraciner dans les pratiques.
Mais malgré cette sémantique plus favorable, de prime à bord, à l’égalité des sexes, Denyse Baillargeon rappelle que « Contrairement à ce que voudrait un mythe tenace, le Québec n’a jamais été une société matriarcale où les femmes auraient dominé les hommes et exercé le pouvoir dans la société. »
Un petit retour dans le passé s’impose donc pour y voir plus clair et planter le décor de la situation actuelle.
Bâtisseuses de la Nouvelle France et de leur destinée
Comme pour l’histoire des femmes en Europe, la question des sources est cruciale. L’historiographie a gardé peu de traces de ces bâtisseuses venues d’outre-Atlantique pour organiser et peupler cette Nouvelle France. Épouses de colons, religieuses, orphelines ont emporté avec elles des secrets bien gardés.
Au cours du 19e siècle, les premières grandes revendications des femmes commencent à émerger dans un contexte de révolution industrielle et de vague de féminisme généralisée en occident. Au Québec, la création du Montreal Local Council of Women (MLCW) en 1893 et la mise en place de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (FNSJB) en 1907, en sont des moments charniers. Les revendications touchent principalement à l’éducation des filles, au droit de vote, au droit à la reconnaissance sur le marché du travail et aux droits juridiques égaux.
Les femmes obtiennent, non sans mal, le droit de vote en 1939 (1969 pour les autochtones), face à une résistance féroce. « Le parlement à ouvert la porte au féminisme sous sa forme la plus nocive : la femme-électeur, qui engendrera bientôt la femme-députée, puis la femme-homme, le monstre hybride et répugnant. », déplore Henri Bourassa, Fondateur du journal Le Devoir. Le Cardinal Bégin, quant à lui, s’indigne : « L’entrée des femmes dans la politique serait pour notre province un malheur, rien ne le justifie ».
Rapidement, les femmes s’organisent au sein de groupes politico-militants et créent des syndicats dans les usines pour revendiquer leurs droits. Au fil du temps, les enjeux évoluent et visent le droit à l’avortement, les congés de maternité rémunérés, l’égalité salariale, etc.
Si l’histoire ne rend pas justice aux femmes, on sent une réelle volonté de la part du Québec de redorer le blason de ces femmes tombées dans l’oubli.
La Ligne du temps de l’histoire des femmes au Québec en est un bel exemple. Soutenu, entre autres par le Conseil du statut de la femme (CSF), ce projet de longue haleine recense les faits marquants de l’histoire des femmes classés par période et par thématiques, enrichis par des liens externes et des références bibliographiques. Pas moins de 150 portraits de femmes sont ainsi compilés et six capsules vidéo (d’environ 2 mn chacune) donnent une première approche succincte de l’histoire des femmes au Québec.
Un beau projet qui pourrait inspirer, ceux qui sont appelés ici, les cousins français.
Être femmes au Québec en 2016
Depuis 1939, le chemin parcouru est considérable. Mais en dépit de réelles avancées, les acquis des femmes demeurent fragiles et plusieurs revendications sont toujours d’actualité, telles que l’accès aux métiers traditionnellement masculins, ou à l’inverse l’accès pour les hommes à des métiers traditionnellement féminins, la lutte contre les stéréotypes et la discrimination.
Femmes et politique : « Il y a trop de renard dans la politique pour y introduire des poules »
Cette phrase prononcée en 1935 par le député de Shefford, Robert-Raoul Bachand serait-elle toujours d’actualité ?
Le Québec est marqué par une politique globale favorable à l’égalité des sexes avec sa campagne Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait. Pourtant, en matière d’égalité dans la sphère politique, la province accuse une inégalité criante.
C’est ce que révèle ce rapport du Conseil du statut de la femme :
Quelques chiffres pour planter le décor :
- 31 % des ministres sont des femmes (8 sur 26)
- 27% des femmes composent l’Assemblée nationale du Québec (33 sur 121)
- 17% des mairies sont dirigées par des femmes
Les raisons évoquées sont principalement « liées à une socialisation différente des filles et des garçons et à un partage inégal du travail domestique et familial ».
Femmes et entreprises : « le féminin, ça s’emploie partout » ?
Des inégalités de revenu
Les femmes continuent à gagner moins que les hommes, même si elles sont en moyenne plus scolarisées. Plusieurs causes l’expliquent : les femmes occupent des emplois moins rémunérateurs et elles travaillent en moyenne moins d’heures. Mais, même à travail et expériences égales, leur salaire reste plus bas. Les femmes immigrées, monoparentales ou autochtones sont doublement discriminées.
Des postes bien gardés
Comme en France, les femmes ont plus de mal à accéder aux postes à responsabilité, elles se heurtent à un plafond de verre bien rigide.
On constate également qu’il reste des barrières dans le choix des emplois occupés par les femmes. Celles-ci dominent encore dans certaines professions traditionnellement féminines et peinent à intégrer des professions traditionnellement plus masculines.
Pour parler d’un secteur qui me touche de près, la situation est désastreuse dans le domaine de l’I.T. Comme le soulignaient les prédictions TMT (Technologies, médias et télécommunications) 2016 de Deloitte : « La situation est pire que vous le pensiez et aucune amélioration n’est en vue : Deloitte prédit que seulement 22 % des emplois dans les technologies de l’information (TI) au Canada seront occupés par des femmes. »
Retrouver l’étude complète en anglais.
Femmes et tâches domestiques : « Allo, maman bobo »
70 % des tâches ménagères continuent d’être faites par les femmes. Ce partage inéquitable a pour effet indésirable la conciliation difficile entre travail et responsabilités familiales et donc par ricochet perte de salaire.
On constate également que dans le type des tâches réalisées, l’équité n’est pas de mise. Les femmes ont bien souvent la responsabilité des tâches routinières, répétitives et dévalorisées. « Les hommes se concentrent généralement sur des tâches plus ponctuelles (tondre la pelouse par exemple) et plus valorisées (comme la rénovation). »
Voir l’étude complète Etre parent une responsabilité à partager.
Pour conclure, je reprendrai cette citation très explicite pour résumer la situation et ouvrir sur deux aspects intéressants qui feront l’objet d’un prochain billet : la perception du féminisme moderne et le rôle des hommes dans tout cela.
« Aujourd’hui, le mouvement féministe est encore bien présent au Québec. Il défend les droits des femmes et combat les stéréotypes, particulièrement ceux véhiculés dans les médias et dans le monde du travail. Il doit toutefois composer avec deux nouvelles réalités : d’une part, un mouvement de balancier qui a vu se développer une idéologie qui considère le féminisme comme dépassé et nuisible, d’autre part, la montée du masculinisme, un mouvement pour la défense des droits des hommes. »