Bien que rentrant une heure plus tard que moi tous les soirs, il est un inconditionnel de la séparation des tâches. L’aspirateur, la vaisselle et les produits nettoyants ne lui font pas peur.
Et quand je prends le sécateur pour tailler la haie, lui attrape le produit pour faire les carreaux car « tu comprends, c’est rigolo, il faut jouer à ce qu’il n’y ait plus de traces ». Inutile de préciser que Chéri est le seul utilisateur du fer à repasser, à raison d’une heure hebdomadaire pour ses chemises de travail.
Je ne suis pas allergique aux tâches ménagères, loin de là. Mais j’ai aussi des journées à rallonge, et cette organisation nous correspond parfaitement à tous les deux. Le problème, c’est que j’assiste tristement à la transformation intersidérale de Chéri lorsque certaines personnes sont présentes.
Sa mère tout d’abord. Maîtresse de maison parfaite, elle est toujours aux petits soins de son mari et de ses deux garçons (aussi grands soient-ils à présent). Ses plats sont goûtus, sa maison est scintillante, son linge impeccable, et tout cela sans ne jamais associer ces tâches à des …corvées ! Alors quand belle-maman est présente, Chéri me laisse gérer la cuisine, préfère le canapé avec son père au moment de débarrasser la table, ou encore ne vient pas m’aider comme il le ferait habituellement pour m’occuper d’une tournée de linge.
Le moment de grâce, c’est lorsque belle-maman remarque que notre fer à repasser est un peu fatigué et me lance « Tu dois t’amuser pour repasser les chemises de ***(Chéri) », ce dernier ne me laisse pas le temps d’entrouvrir la bouche pour répondre et s’empresse de répliquer que « oui, c’est un peu compliqué, mais qu’elle va investir ». Par « elle », comprenez « moi », moi la jeune amoureuse déboussolée et sacrément énervée contre Chéri !
Mon petit frère ensuite. Jeune mâle décomplexé et plein d’assurance, il s’entend très bien avec Chéri. Quand il est chez nous, ils n’hésitent pas à s’associer pour la dégustation d’une bonne bouteille de vin ou un tournoi de Fifa sur PS2. Et lorsqu’ils se risquent à quelques traits d’humour, les blagues sexistes à mon égard font apparemment parties de leur zone de confort dans cette discipline, car ils se prêtent allégrement au jeu : « Allez femme, fais nous à manger ! », « La place de la femelle n’est pas dans le canapé mais derrière ses fourneaux ! »
Inutile de préciser que mon frère est en fait un vrai gentleman, dont la petite amie sait aussi jouer à Fifa, et passe plus de temps à réviser ses cours de finance qu’à effectuer des corvées ménagères.
Alors pourquoi Chéri et lui « se macho-isent-ils » quand ils passent du temps ensemble ? A croire que Chéri se transforme au contact de ses paires, et de sa mère… !
Quand je lui pose la question à propos de sa mère, il me répond qu’il souhaite que je passe pour la belle-fille parfaite auprès de cette dernière. Raison honorable ! Je devrais me réjouir d’une telle bienveillance de sa part ! Mais en y réfléchissant une seconde de plus, je préférerais qu’il me montre à sa mère telle que je suis vraiment : loin d’être une aussi bonne maîtresse de maison qu’elle, mais avec tellement d’autres qualités…
Avec mon frère, l’explication est toute autre. Chéri veut assurer avec succès son intégration dans la famille, et pour cela, rien de tel que montrer qu’il est bien dans la norme. Alors ça y est, j’ai ma conclusion. Malgré l’évolution de notre société, malgré les progrès effectués par la jeune génération, la « mach-attitude » relève toujours de la norme. Et dans les situations délicates, Chéri préfère la facilité à la défense de la noble cause.
Piètre constat pour moi, et pour nous les filles ; car s’il faut ajouter aux machos d’un jour, les machos de toujours, on n’est pas prêtes de sortir de l’auberge !