Slam comme thérapie - Caylah

MétamorFaiseurs à Madagascar : le slam comme thérapie

Last but not least… Je conclus cette série d’articles ‘MétamorFaiseurs’ avec mon expérience à Madagascar.

Il y a des rencontres qui transforment une vie et si toutes les rencontres que j’ai faites au cours de mon voyage m’ont nourrie, animée, portée, inspirée… Certaines m’ont incontestablement heurtée, frappée, « MétamorFaisée ».

C’était le cas à Madagascar avec la rencontre de Caylah, une jeune slameuse de 23 ans. Et si le slam veut dire claque, alors oui j’ai littéralement pris une claque et même plusieurs. Cette artiste engagée m’a touchée en plein coeur avec ses mots, son sourire et son coeur.

Caylah : slameuse et poète engagée

Slameuse, poète indépendante et membre du groupe de Spoken word Caylah and Men, Caylah est surtout une artiste engagée.

Elle se veut le porte parole d’une jeunesse en colère. Elle représente la voix du peuple et dit tout haut, ce que tout le monde pense tout bas. Elle utilise l’art pour éveiller les consciences, faire réfléchir… et amener à agir.

Caylah, cette éternelle rêveuse autodidacte avait enflammé la scène lors de la cérémonie d’ouverture du XVIème sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Madagascar en novembre 2016.

Engagée, je disais, en parallèle de ces shows, Caylah s’implique pour sa communauté. Elle a développé le concept de la Slamothérapie : écrire pour guérir. Guérir à la fois les gros maux d’une société déracinée. Guérir également ses propres fêlures par le biais de l’écriture.

Slam : thérapie d’une société psychosée

Slam : thérapie d'une sociétéMadagascar, une société « schizophrène », ambivalente, contradictoire… Elle nourrit un rapport ambigu face au passé colonial, face à une histoire tiraillée, refoulée, bâillonnée. Il y a une sorte d’amour/haine envers la France, à la fois de l’admiration et de la répulsion, de l’envie et du dégout.

Madagascar, une société en perte de repère, d’identité, tourmentée face à la pauvreté et à la violence. Madagascar, un pays extrêmement riche par sa faune et sa flore, par sa biodiversité, par ses épices, par ses couleurs, par ses paysages, par la diversité de son peuple et pourtant un des pays les plus pauvres au monde. Une richesse si mal partagée, si mal redistribuée, une corruption institutionnalisée.

Les riches deviennent plus riches, les pauvres plus pauvres, le gap entre les deux est obscènement indécent. Les vols et les violences sévissent comme seule contre-attaque possible face à un gouvernement aux abonnés absents. Antananarivo (Tana pour les intimes) se meurt à la nuit tombée, plus personne dans les rues, les malgaches ont peur. Le slam teaser que Caylah a fait pour Madagascar Underground est à ce propos fort éloquent et frappant.

Madagascar, une société parano qui n’a plus de confiance ni en elle ni en les autres, qui a pour seule arme la méfiance et pourtant une jeunesse qui espère et opère en silence.

Madagascar, un pays hypocrite face au tourisme sexuel, face à la place des femmes plus généralement. Caylah traite largement de ces problématiques dans ses textes. « Quand l’homme commande la femme obéit, l’homme lui n’a jamais tord mais parfois il oublie {…} Il est temps que les femmes aussi aient le droit à l’éducation, qu’on sache lire et écrire, compter, parler, s’exprimer, découvrir, voyager ».

Elle m’a d’ailleurs confié la difficulté de parler librement en étant femme et en étant artiste. On pourrait penser que sa notoriété pourrait aider mais Caylah continue de faire face à des préjugés, à des détracteurs, à du harcèlement. L’artiste n’a que faire des supposés bonnes manières d’une société machiste et si on ne lui donne pas la parole, elle la prend de son droit, une manière d’initier le mouvement féministe et d’inciter les femmes à parler, à se dévoiler, à se rebeller.

Slamothérapie : « Soigner les maux par les mots »

SlamothérapieDans la lignée de la musicothérapie, de l’art thérapeutique en général, Caylah a développé ce concept suite à son engagement auprès des jeunes. Elle a commencé par donner des ateliers de slam dans les écoles et peu à peu elle a décidé d’élargir à des publiques isolés voire marginalisés. Elle s’implique ainsi auprès des jeunes victimes de viol et de violence, des mères précoces, des jeunes de la rue et également des jeunes incarcérés.

« Madagascar c’est un pays jeune, Madagascar, c’est la jeunesse, c’est une jeunesse qui a besoin qu’on les entende, qu’on leur tende la main, qu’on investisse en eux ». Caylah, en leur donnant des clés de compréhension, de reflexion, aide ces jeunes à se (re)construire. Elle s’est rendue compte du poids des mots et de l’importance de mettre des mots sur les maux pour redonner confiance et/ou guérir des blessures.

Je l’ai accompagnée lors d’une de ses séances qu’elle donnait aux mamans précoces avec l’association Aïna, Enfance et Avenir. Cette association a créé un village à Antanandrano (commune d’Ankadikely Ilafy, à 2-3 heures de route de Tana) pour aider les jeunes filles mères à construire un meilleur avenir pour elles-mêmes et pour leurs enfants en leur proposant des formations dans différents secteurs et un accompagnement adapté.

Lors de ses ateliers, Caylah parle de sexualité avec les jeunes mamans, sujet tabou, dont on ne parle jamais. Elle les aide à sortir ce qu’il y a au fond d’elles, parfois bien enfoui, voire même endormi. D’ailleurs, elle s’est rendue compte qu’il y avait souvent des cas viols, dont les filles elles-mêmes n’avaient pas pris conscience dans cette société où l’homme impose et la femme est à disposition.

Lors de ses séances, Caylah invite les jeunes filles à réfléchir à des mots forts et à y associer des émotions (la joie, l’envie, la peur, la tristesse, la rage…), puis à construire des phrases. C’est en s’appuyant et en s’inspirant de tout ce travail réalisé, que Caylah a écrit ce très beau slam intitulé Mère Enfant.

Caylah fait preuve de courage et d’engagement. Elle sème et « par s’aime » une belle « slamosophie » pour reprendre un des termes qu’elle utilise dans un autre slam.

Et si le slam veut dire claque, alors oui j’ai littéralement pris une claque et même plusieurs. Cette artiste engagée m’a touchée en plein coeur avec ses mots, son sourire et son coeur.

Mais bien plus que cela, elle a ébranlé  quelque chose en moi, elle a réveillé la « slamosophe », la slamologue qui était en moi. Elle m’a dit « j’étais juste une étincelle et toi le feu » mais c’est elle le feu… Elle a le feu dans les yeux, le feu dans les mots, le feux dans la voix et elle ouvre la voie…

Retrouvez un slam que j’ai écrit en son honneur.

Passionnée d’écriture et de voyage, de découverte et de partage, Morgane aime apprendre et explorer en permanence, découvrir de nouvelles cultures, de nouveaux espaces, de nouvelles façons de réinventer le monde qui nous entoure. Résolument curieuse, elle s’intéresse à des sujets très variés, allant de la culture à l’innovation, en passant par les ressources humaines et l’entrepreneuriat. Ancienne étudiante en histoire du genre, Morgane a toujours porté un regard particulier aux problématiques hommes/femmes. Tombée dans le Web autour d’un (heureux) hasard, la toile s’avère être un fabuleux espace de fouille, de recherche, d’échange et de créativité rendant possible une mutation des genres et des pratiques socio-culturelles. Informer, surprendre, enchanter, créer, co-créer… à l’heure de l’Open source, de l’économie collaborative, le champ des possibles est infiniment grand. Un tantinet aventurière, Morgane aime relever des défis et se dépasser. Avec son projet MétamorFaiseurs, elle est partie à la rencontre d'ambassadeurs du changement dans le monde autour de l'éducation, l'égalité homme/femme et l'environnement et se lance dans la réalisation d'un webdocumentaire. MétamorFaiseurs : un monde en mutation, des Faiseurs en action !

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